Les gens sont toujours surpris d'apprendre que le premier artiste urbain au monde est français.
Quoi? Non, pas croyable!
Il a 70 ans, il vit et travaille en région parisienne : Gérard ZLOTYKAMIEN.
En 1963, quand Zloty commence à peindre dans la rue, les graffeurs new-yorkais sont encore en couche culotte (ou presque) et personne ne s'est encore essayé à ce qui deviendra l'art urbain.
Gérard Zlotykamien est le premier!!!
Ci-après la préface de Stéphanie LEMOINE (journaliste et critique d'art) pour le catalogue de
l'exposition "Éphémères" à la galerie Mathgoth en Octobre 2012.
Un saut dans le vide
Si les noms de Bansky, JR ou Invader sont désormais familiers au grand
public, celui de Gérard Zlotykamien reste confidentiel hors du cercle étroit
des amateurs d’art urbain. L’homme en est pourtant l’un des pionniers : dès
1963, après une participation remarquée à la 3e Biennale de Paris
(la salle où il expose avec Arroyo, Pinoncelli, Camacho, Biass et Brusse est censurée),
il délaisse les circuits institutionnels de l’art pour tracer dans les rues et
terrains vagues, sur les chantiers et palissades des figures vacillantes à la
poire à lavement et à la bombe aérosol. A l’époque, le writing new-yorkais est encore dans les limbes, et ni
Pignon-Ernest ni Buren n’ont commencé à sonder les qualités plastiques et la
profondeur historique de l’espace urbain.
L’amnésie qui entoure le travail de Zlotykamien n’en étonne que davantage.
Depuis une petite dizaine d’années, la scène street art connaît un début de reconnaissance
institutionnelle et pourrait même avoir trouvé sa place sur le marché.
Pourtant, dans les galeries, les salles des ventes et articles de presse, nulle
trace ou presque de Zlotykamien. Son « actualité » des dix dernières
années tient en peu de mots : une participation à la rétrospective Né
dans la rue en 2009 à la
Fondation Cartier et la réalisation d’une affiche pour le M.U.R.
Cette éclipse tient d’abord à la radicalité de l’artiste. Que ses familiers
et ses pairs l’appellent affectueusement Zloty [1]
ne change rien à l’affaire : l’homme n’a jamais fait aucune concession aux
nécessités du commerce. Ceux qui le connaissent bien parlent de rigueur et
d’intégrité. Lui, dit : « Je ne fabrique pas de fausse monnaie. Je ne
suis pas une machine à multiplier. » Au contraire, Zlotykamien semble s’être acharné à déjouer toute tentation
de thésauriser sur son travail. Les œuvres qu’il a peintes dans les rues échappent
par nature au marché : conçues dans l’illégalité et situées le plus
souvent au sein d’espaces en mutation (friches, délaissés, terrains vagues, bâtiments
promis à la démolition…), elles sont vouées à disparaître, d’où leur
nom d’éphémères. Quant à
celles qu’il a créées dans son atelier à Argenteuil – comme chez beaucoup
d’artistes dits urbains, son travail ne se résume pas à la rue, et se déploie
sur tous types de supports et d’espaces – il en subsiste une poignée. Le reste
a été brûlé, déchiré ou jeté.
Pour justifier cette manie de la disparition, on pourrait invoquer des
raisons d’ordre biographique : d’origine juive et polonaise, Gérard
Zlotykamien a vu nombre des siens périr dans les camps – brûlés, jetés ou effacés,
pas moins fragiles et éphémères que les figures qu’il a tracées toute sa vie
sur les murs. En 1979, lors du procès instruit contre l’artiste par la ville
d’Ulm où il est allé peindre les murs de la prison ou de l’université, il a
contre ses juges cette réplique cinglante : « Si vous me rendez les
miens, j’effacerai vos murs. » Pourtant, Zloty place ailleurs, juste à côté, l’origine de ses figures
fantomatiques : dans l’explosion atomique d’Hiroshima et les ombres
humaines que le souffle a jetées sur les murs. Il raconte que c’est en voyant
les photographies de ces ombres que lui sont venues l’idée et la forme des éphémères…
Mais chez Zlotykamien, le vide est aussi une condition de l’acte créateur. « Pour
faire quelque chose, note-t-il, j’ai
besoin qu’il n’y ait rien. J’ai besoin de sentir le vide pour pouvoir le
remplir. » Sans doute
faut-il voir ici l’héritage d’Yves Klein, que l’artiste a bien connu lorsqu’il était
adolescent. Les cours de judo dispensés par l’homme aux monochromes bleus sont
en effet les seuls cours de peinture que Zloty ait jamais pris [2].
Or, Klein est d’abord le peintre de l’espace, et pour en donner la représentation
la plus exacte possible, il convoque le vide, l’expose en 1958 (seuls les murs extérieurs de la galerie sont peints) et plonge dedans deux ans
plus tard au cours d’une mise en scène photographique justement intitulée « le
saut dans le vide » : « pour peindre l’espace, explique-t-il, je me dois de me rendre sur
place, dans cet espace même ». Mais l’espace dans lequel plonge l’artiste dans le photomontage de 1960
n’est pas tout à fait le vide. C’est une rue déserte d’un quartier résidentiel à
Fontenay aux roses. Chez Klein, comme chez Buren quelques années plus tard,
faire l’espace la question plastique fondamentale revient in fine à sortir dans la rue. Zlotykamien retiendra la leçon…
Du maître, il a aussi appris à pratiquer la peinture comme un art
martial : avec concentration, intériorité et précision. Lorsqu’il
travaille, l’artiste se veut semblable à ce judoka japonais fait prisonnier en
1945, et qui continuait à s’entraîner contre un arbre ; semblable encore à
Szpilman, le pianiste de Polanski, qui jouait sans frapper les touches de son
instrument. Lui importe moins le motif que le processus qui conduit à l’élaboration
du geste le plus précis, le plus indiscutable possible. En regard de ce geste,
l’oeuvre créée est secondaire. Elle pourrait même à la rigueur ne pas exister,
que Zlotykamien serait encore peintre. « J’arrive à ne pas
peindre », dit-il
d’ailleurs, et il faut voir dans cette sortie malicieuse le triomphe d’un homme
qui a pour ambition de peindre partout, quoiqu’il arrive, « même en
prison ». Son apport à la
genèse de l’art urbain est sans doute là : de même que plus tard, le
graffiti s’affirmera d’abord
comme une aventure et un jeu, comme une façon d’explorer la ville et d’en nier
toutes les frontières, bref, comme un acte gratuit dont le tag ou la pièce seraient en quelque sorte la trace, de même,
Zloty s’est attaché à saisir ce qu’il y a dans la peinture de plus fondamental
et de plus immatériel : le geste.
Stéphanie LEMOINE
(Journaliste et critique d'art)
[1] Le zloty est l’unité monétaire de la Pologne, pays dont est originaire la famille de Zlotykamien [2] Attachée de presse chez Grasset, la mère de Zlotykamien découvre Yves Klein dont sa maison d’édition publie en 1954 Les fondements du judo. C’est elle qui enjoint son fils à suivre les cours de judo. Un jour, Klein aurait dit au jeune homme : “si tu veux être un grand peintre, tu devras pratiquer le judo jusqu’à 45 ans.”
OPPOSITION, avec :
Morten Andersen (Danemark), CT (Italie), Jean Faucheur (France), Fenx (France), Anders Gjennestad (Norvège), Jace (France), Jef Aérosol (France), Swiz (France), Gérard Zlotykamien (France).
Infos pratiques :
OPPOSITION
Galerie MathGoth
34, rue Hélène Brion - 75013 Paris
(metro Bibliothèque François Mitterrand)
Du 24 janvier au 22 février 2014
Vernissage le vendredi 24 janvier à partir de 18 heures
Contact Presse :
Mathilde Jourdain 06 63 01 41 50